LA MARCHE – LES BRAS – Déphasage des segments

          

DÉPHASAGE DES SEGMENTS

La souplesse d’un ballant de bras est due à la bascule successive d’avant en arrière de ses segments, le bras à proprement parler, l’avant-bras et la main. Le retard, ou même l’avance d’une bascule sur celle qui la précède, donne au mouvement son caractère ondulant.

Ces bascules sont dues à l’inversion de rotation des pivots, l’épaule, le coude et le poignet. Leur succession produit l’inversion successive du déplacement du coude, du poignet et de l’extrémité de la main. On peut donc distinguer deux types d’inversions, celles en rotation, et celles en déplacement.

En pratique, cette distinction apparaît tout le temps. L’animateur papier l’effectue sans forcément y songer, esquissant les limites d’un mouvement cyclique (positions) et posant une inversion de rotation chaque fois qu’il dessine un segment dans sa pente maximale.

L’animateur de marionnettes virtuelles l’effectue plus consciemment en ajustant sur sa barre de temps ses clefs de rotation indépendamment de celles de position. Ses outils lui permettent d’animer un segment soit en le faisant pivoter à l’articulation, laissant son autre extrémité adapter sa position, soit en déplaçant cette extrémité, laissant l’articulation adapter sa rotation. C’est la différence entre cinématique avant et cinématique inverse.

Il ne s’agit pas ici d’expliquer ces outils, mais d’observer l’oscillation d’un bras sous suffisamment de rapports pour faire le tour de ses comportements possibles. Ce chapitre se concentre sur le déphasage de ses segments, une manière simple d’assouplir plus ou moins son ballant.

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  1.  Extrêmes de rotation et de position
  2. Déphasage sur un segment
  3. Déphaser plusieurs segments
  4. Analyse d’un déphasage progressif
  5. Moments principaux d’un déphasage
  6. Moments particuliers d’un déphasage
  7. Déphasage d’un cycle non symétrique
  8. Psychologie du déphasage
  9. Retards en position

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Extrêmes de rotation et de position

A = extrêmes de rotation   B = extrêmes de position

Un extrême de rotation ou de position est le moment précis où un segment inverse sa rotation ou son déplacement. Il ne faut pas les confondre avec les clefs d’animation que l’animateur de poupées virtuelles dispose sur sa barre de temps.

On comprend la différence en ouvrant un éditeur de courbes.  Les extrêmes sont indiqués par les sommets de courbes. Des clefs en sommets de courbes sont des extrêmes, mais elles peuvent en être dissociés en manipulant leurs tangentes. Une clef qui n’est pas un extrême n’est qu’une simple position ou rotation intermédiaire.

Cette première animation donne lieu à trois observations.

Premièrement, extrêmes de rotation (A) et de position (B) ne sont pas les mêmes. Les seules inversions synchrones sont celles en rotation de l’épaule et en déplacement du coude.

Parce que l’épaule est considérée ici comme étant fixe.

Deuxièmement, les rotations (A) ne s’inversent pas au même rythme que les déplacements (B). L’animation comprenant 48 phases, les rotations s’inversent régulièrement toutes les 8 phases, les déplacements, ponctuellement toutes les 3 phases en arrière, puis, 18 images plus tard, toutes les 3 phases en avant.

Troisièmement, les extrêmes de rotations se concentrent à l’intérieur du mouvement, et les extrêmes de position, sur son enveloppe.

Au final, une désynchronisation est observable

      • entre extrêmes de position et de rotation d’une même extrémité,
      • entre extrêmes de rotation de toutes les extrémités,
      • entre extrêmes de position de toutes les extrémités.

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Déphasages sur 1 segment

Voici un mouvement pendulaire.

Les inversions en position et en rotation sont synchrones. Nous dirons qu’elles forment deux  couples, (+,+) pour les extrêmes à gauche, et (-,-) pour les extrêmes à droite.

 La rémanence bleue se nomme trace. La trajectoire en couleur est la trajectoire d’extrémité du segment. Dans un mouvement régulier de va-et-vient, on la nomme aussi trajectoire d’oscillation.

Voici un mouvement déphasé.

Les couples (+,+) et (-,-) se séparent. Le mouvement aller se distingue du mouvement retour, et la trajectoire d’extrémité se dédouble pour former un 8, convexe selon son grand axe. L’amplitude du mouvement s’est réduite. Les traces se chevauchent aux extrémités, indiquant un retard de la base du segment sur son sommet. De part et d’autre du mouvement, on distingue désormais deux extrêmes de position du segment, celui de son pivot et celui de son extrémité.

En augmentant le déphasage, on augmente le retard. Le 8 perd en longueur, son grand axe devient rectiligne.

Jusqu’ici, l’amplitude du mouvement est plus importante au pivot qu’à l’extrémité. Mais le déphasage inverse peu à peu la proportion, produisant une autre inversion: de convexe puis rectiligne, le grand axe du 8 devient concave.

A force de déphaser, les extrêmes de rotation et de position se synchronisent de nouveau pour former deux nouveaux couples, (+,-) et (-,+). Le déphasage est alors de 1/2 période.

L’amplitude du 8 est ici minimale car l’écart entre extrêmes au pivot est annulé à l’extrémité par la rotation.  Si on réduit l’écart au pivot, le 8 reprend en amplitude, mais de manière inversée.

En poursuivant le déphasage, on reproduit à rebours les mêmes phénomènes avec une différence : la base du segment n’est plus en retard sur son sommet, mais en avance.

La trajectoire en 8 s’allonge, son grand axe repasse de la concave à la rectiligne,…

… de la rectiligne à la convexe.

… et le 8 redevient simple courbe.

Simple, non?


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Déphaser plusieurs segments

Dans les démonstrations qui vont suivre, nous prendrons le point de vue de l’animateur de poupées virtuelles, qui désynchronise ses clefs de rotation en les faisant glisser le long de sa barre de temps.

La barre de temps

Le pointillé gris représente une ligne du temps, et chaque point, une image. Le triangle rouge est le curseur temporel de l’animation.

A chaque segment est attribuée une couleur, indiquée par son point de pivot et par la trajectoire de son extrémité. On retrouve cette couleur dans la barre de temps, sur le curseur temporel du segment. Les extrêmes de rotation sont indiqués, pour tous les segments, par les pastilles noires. Une rotation s’inverse chaque fois qu’un curseur de segment recouvre une pastille noire.

Désynchroniser, déphaser

L’un des termes est une variante de l’autre.

Désynchroniser consiste à décaler plus ou moins sur la barre de temps des clefs de rotation ou de position de façon ponctuelle. Quand on désynchronise, on parle en secondes ou en nombre d’images.

Déphaser consiste à désynchroniser l’ensemble des clefs d’un niveau oscillant. On peut toujours l’exprimer en nombre d’images, mais il est plus judicieux d’en parler en fraction de période.

Si on prend, par exemple, un cycle en 24, désynchroniser un niveau de 4 images revient à le déphaser de 1/6ème de période. Sur un cycle en 16, le déphasage est de 1/4 de période. Sur un cycle en 36, il est de 1/9ème de période, etc.

Cas de figure

Rotations synchrones

Les pastilles noires en 0 et en 24 débutent et terminent le cycle. Elles ne représentent pas les extrêmes du mouvement, qui sont en 6 et en 18.

Dans ce premier exemple, l’oscillation de chaque segment est répartie symétriquement par rapport au segment précédent. Les segments sont synchrones, c’est à dire qu’aucun n’est en retard sur un autre.

Retards ponctuels en rotation

Dans ce second exemple, les extrémités du mouvement sont en 0 et en 12, (24 pour le bouclage). Les clefs ajoutées valent celles qui les précèdent. Elles produisent ainsi un retard en rotation d’un segment sur celui qui le précède.

Retards constants en rotation

En introduisant des retards dans l’exemple précédent, les segments n’oscillaient plus de façon régulière. Dans ce troisième exemple, aucun extrême de rotation n’est ajouté. Les segments ont été déphasés de 1/6ème de période chacun. Ils oscillent ainsi de façon régulière.

Premiers constats

De prime abord, on observe dans les animations précédentes que

A – Si les segments sont synchrones, la trace et les trajectoires d’oscillations aller et retour se recouvrent.

B – En cas de retard en milieu de ballant, les trajectoires aller et retour forment un 8, en pointes aux extrémités ou les rotations sont synchrones.

C – En cas de retard constant, les phases prennent une forme en S aux extrémités du mouvement, ce qui leur permet de se chevaucher. Des retards aux extrémités émoussent les trajectoires, réduisant leur amplitude.

Le cas C correspond à un déphasage constant en rotation de 4 images. On pourrait s’attendre à ce qu’en augmentant le déphasage, les retards et leurs effets iraient en s’accentuant. Ce n’est pas ce que l’on observe dans l’animation suivante, qui montre l’augmentation progressive d’un déphasage en rotation, de 0 à une période (0 à 24 phases).


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Analyse d’un déphasage progressif…

Cycles de 1 seconde, 24 phases, 12 aller, 12 retour

… d’un cycle symétrique en 24 phases composé de 3 segments égaux. L’amplitude en rotation est égale pour les trois. S’ils sont synchrones, il produisent une simple oscillation, sans effet de retard ni d’avance.

Une phase de déphasage suffit à produire un effet ondulant. Sur les trois trajectoires, deux prennent une forme en 8. La première ne varie pas car l’épaule est fixe. 

En augmentant le déphasage, les trajectoires en 8 ouvrent leurs boucles et réduisent leur grand axe à mesure qu’augmente le retard. Le mouvement est de plus en plus souple.

Passé un seuil (+3), les 8 poursuivent leur réduction en longueur, mais leurs boucles se referment. Le jeu des rotations produit des effets de compensation, au point que la trajectoire  jaune finit par redevenir une ligne (+6).

Passé ce seuil, la trajectoire jaune reforme un 8 (+7) avant de redevenir une ligne en même temps que la trajectoire verte (+8). La trace du troisième segment, verticale et parallèle, indique qu’il ne bascule plus.

Passé ce seuil (+9), le troisième segment bascule de nouveau, mais en avance sur le second qui, lui, reste en retard sur le premier. Les trajectoires en 8 s’ouvrent de nouveau jusqu’à un autre seuil (+10), puis redeviennent une ligne (+12).

A 1/2 période de déphasage (+12), les traces aller et retour se superposent. Il n’est plus possible de déceler un retard d’un segment sur un autre.

Passée la 1/2 période de déphasage, les mêmes phénomènes se reproduisent, avec une différence.

Le système n’est plus entrainé par son sommet, le premier segment, mais par le second (+15), puis par le troisième (+17), sa base.

Comme tout mouvement cyclique, à force d’être déphasé…

… il redevient synchrone.


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Moments principaux d’un déphasage

Les moments principaux déterminent le type de mouvement. On peut en retenir quatre.

 A – Mouvement synchronisé : 0 période de déphasage

B – Mouvement avec retard : entre 0 et 1/2 période

C – Mouvement inversé : 1/2 période de déphasage

D – Mouvement avec avance : entre 1/2 et 1 (une) période

Précisions

Un déphasage de 1 (une) période vaut un retour à 0. Déphaser de + 3/4 de période revient donc à déphaser de – 1/4 de période. Le + ou le – consiste à décaler en + ou en – une clef dans le temps. En +, on la retrouve dans le futur, en -, dans le passé.

Méfiez-vous des signes!

déphaser de +1/4 de période, c’est introduire un retard,

déphaser de -1/4 de période, c’est introduire une avance.


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Moments particuliers d’un déphasage

On en retiendra cinq.

A et E

Qu’un mouvement soit synchrone ou déphasé de 1/2 période par segment, ses trajectoires sont linéaires. Déphaser de 1/2 période revient à inverser le second segment et à ne pas déphaser le troisième (1/2 + 1/2 =  pas de déphasage). On n’observe alors ni avance ni retard d’un segment sur un autre.

Partant d’une rotation égale pour chaque segment, leur succession sans déphasage donne à l’enveloppe du mouvement une forme en éventail, et avec un déphasage de 1/2 période, une forme en cloche.

Les valeurs indiquées en images sur les bords de l’enveloppe sont celles des inversions de rotation pour un cycle en 24 phases. Sur les trois schémas suivants, les retards de déplacement sont à peu près équivalents.

B

Sur un cycle en 24, les plus grandes boucles de trajectoires s’obtiennent en déphasant de + ou – 3 phases à chaque segment, soit + ou – 1/8ème de période.

C

A + ou – 1/4 de période, la bascule du troisième segment présente un retard ou une avance en milieu du ballant, non aux extrémités du mouvement (1/4 + 1/4 = 1/2 = inversion)

D

A + et – 1/3 de période, le troisième segment ne bascule plus, ou presque. La trajectoire d’extrémité est presque linéaire.

De + ou – 1/3 à 1/2 période de déphasage, la bascule du troisième segment s’inverse. En retard ou en avance sur le précédent, elle devient en avance ou en retard.


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Déphasage d’un cycle non symétrique

Ces animations montrent l’évolution de trois déphasages en rotation, et leur effet sur l’enveloppe et les trajectoires d’extrémités. L’animation A correspond à l’analyse du cycle symétrique que nous venons de voir, et les deux autres, à deux cas particuliers de cycles non symétriques.

En A, l’amplitude en rotation par segment va de + ou – 45°. Nous avons vu que, du déphasage nul à 1/2 période, l’enveloppe passait d’une forme en éventail à une forme en cloche, et que les trajectoires d’extrémités alternaient entre la ligne et la trajectoire en 8.

En B, l’amplitude en rotation par segment va de – 45° à + 90°.

Les trajectoires d’oscillation ne sont plus symétriques, et la forme en 8 n’est plus systématique. A partir de 1/4 de déphasage, la trajectoire d’extrémité ne forme plus qu’une simple boucle.

En C, l’amplitude en rotation par segment va de 0° à +45°.

Cette fois, le déphasage ne propose plus aucune forme en 8.

Retenons

Dans un système articulé à trois segments, un déphasage des rotations produit des enveloppes allant d’une forme en éventail (oscillations synchrones) à une forme en cloche (oscillations déphasées de 1/2 période).

Selon la manière dont se cumulent les rotations d’un segment à un autre, les trajectoires d’oscillation peuvent former des lignes, des 8, ou des boucles simples.


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Psychologie du déphasage

Ces marches, toutes obtenues à partir d’une même animation, reprennent les cinq rapports de déphasage à retenir, trois étant envisageables en + et en -. Au total, huit marches présentant un comportement des bras différent.

Aucune n’est préférable à un autre. Toutes évoquent un caractère particulier.

Un déphasage simple ne permet d’obtenir que de simples ballants, mais en jouant sur les amplitudes et la dissymétrie des extrêmes, le principe convient à de nombreuses marches, même fortement caractérisées.

Dans cette animation, le mouvement d’épaule est déphasé relativement au bassin, mais les segments du bras sont synchrones entre eux. Cela caractérise très bien la secrétaire nerveuse.

Pour s’habituer à penser en période et non en nombre de phases, la durée des cycles qui suivent est chaque fois différente.

Pour un timoré, un faible déphasage suffit.

En déphasant un peu plus, on emballe un auditoire,…

…un peu trop, on lui inspire des idées noires.

Marcher les mains dans les poches, c’est être à moitié déphasé.

Un retard de la main sur l’épaule rend le bras passif, c’est à dire qu’il se contente d’accompagner le mouvement. Une avance le rend actif. Il peut alors participer à l’élan, ou rétablir un équilibre, comme chez ce personnage, qui semble progresser dans la vase.

Avoir les bras actifs ne sert pas toujours à grand chose. Cela peut ajouter une touche aguicheuse à la femme fatale…

… ou j’men foutiste au soldat de parade.

La notion d’utilité est très subjective.


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Retards en position

Quand on déphase les rotations, les retards en position restent relativement constants. On peut vouloir augmenter ceux-ci en laissant les rotations s’adapter. On obtient vite des mouvements particuliers qu’il vaut mieux aborder clef à clef.

C’est l’objet d’un prochain chapitre. Celui-ci a permis d’observer qu’une marche pouvait avoir du caractère sans mouvements de bras spectaculaires, et qu’une simple différence de déphasage les rend tantôt passifs, tantôt actifs.

Pour répondre au problème posé en introduction, nous aurons noté que tantôt l’épaule, parent des articulations suivantes, entraîne tous ses enfants, tantôt  le poignet, enfant des articulations précédentes, entraîne tous ses parents. Autrement dit, dans un système hiérarchisé, la position ne fait pas le mérite.

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© C. Clamaron 2022

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