L’ARAIGNÉE ET LA FOURMI
Anim fourmi qui passe dire bonjour et se taille.
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Préambule
Non, la fourmi n’est pas plus forte que l’homme parce qu’elle peut porter jusqu’à 100 ou 1000 fois son poids. Quel que soit le bon chiffre, il est vrai qu’il sera toujours plus grand que la capacité humaine. Au jour où j’écris ces lignes, le champion du monde d’haltérophilie, le géorgien Lasha Talakhadze, 157 kg, a porté, au mieux, 488 kg, soit environ trois fois son poids. Il est possible que ses malheureux concurrents aient pu, tout en portant moins, augmenter ce ratio qui dépend de leur poids, mais on reste loin des performances de la fourmi. Car tout de même, 100 à 1000 fois son poids!
Mais est-on sûr de comparer du comparable?
La logique est dans les chiffres
Prenons une fourmi pesant 15 mg (0,015 gramme) pour 7 mm de long, et capable de porter 100 fois son poids, soit 1,5 gramme. Si nous pouvions la reproduire dans tous ses détails à notre échelle, il faudrait, pour que sa longueur égale une hauteur d’homme de 1,80 mètre, l’agrandir environ 260 fois. Combien pèserait-elle? 1,5 gramme x 260, soit 390 grammes?
Oublions un instant la fourmi. Quand on double le coté d’un cube sans modifier ses proportions, ses surfaces sont doublées à la puissance carré, tandis que son volume et son poids sont doublés à la puissance trois.
La fourmi pèserait donc 0,015g x 260³, soit environ 260 kg, ce qui est plus que notre champion d’haltérophilie. Posons maintenant sur elle une charge de 260 kg x 100, soit 26 tonnes. Imagine-t-on vraiment une fourmi géante porter le poids d’un camion benne?
La taille et le poids sont souvent les seuls critères que l’on pense à commenter lorsque l’on compare des masses. Celui dont il faudrait parler est passé sous silence: le rapport masse/surface (kg/m²).
Reprenons l’exemple du cube de 1 mètre de coté, et disons qu’il fait 100 kg. Posé sur le sol, ses 100 kg sont répartis sur 1m². Son rapport masse surface est de 100kg/m². Doublons son coté pour le porter à 2 mètres. Son poids est doublé à la puissance 3, soit 800 kg répartis sur 4m². Le rapport masse/surface est passé à 200kg/m². Et quand le poids augmente au mètre carré, c’est la pression qui augmente.
Ramenons le cube de 1 mètre à la taille proche de celle d’une fourmi, 1cm de coté, soit 100 fois moins. La surface au sol est désormais de 1cm x 1cm soit 1cm², sur lequel se réparti un poids de 100kg/100³, soit 0,0001 kg, un dixième de milligramme. Le rapport poids/surface n’est plus que de 0,0001kg/0,01m², soit 0,01 kg/m². De quoi en rabattre un peu.
Quand on descend en taille, le poids baisse en puissance trois, les surfaces en puissance deux. Donc, pour un même poids relatif, la pression relative diminue.
La même raison inverse explique pourquoi les grosses bêtes de cinéma ne peuvent pas exister. Plus on augmente en taille, plus augmente la pression relative. Doté d’un squelette équivalent à celui d’un gorille réel, King Kong s’effondrerait sous son propre poids.
Peut-être n’est ce qu’une question de matériau? Avec un squelette en acier, ça pourrait tenir? Peut-être. Mais un tel squelette serait beaucoup plus lourd et exigerait de King Kong bien plus de force relative que celle d’un vrai gorille pour le mettre en mouvement. Or, même cela n’est pas envisageable.
Physionomie
Supporter une charge n’est pas la porter. Qu’en-est-il de la force de la fourmi?
La force d’un muscle est relative à sa section, qui est une surface. Les surfaces variant moins vite que les volumes, plus on descend en taille, plus les effets du muscle sont impressionnants. Inversement, prêter à King Kong la force de sauter d’un building à un autre lorsqu’il serait incapable de seulement se lever est un peu optimiste.
D’un autre coté, on entend parfois que la force exceptionnelle de la fourmi viendrait de son exosquelette. Rien n’est moins sûr. Avec son endosquelette, l’homme déploie ses muscles en surface et peut les développer. Les muscles de la fourmi sont contenus dans son exosquelette. Non seulement leur section est plus petite que celle de muscles humains, mais leur taille est contrainte. Ramené à la taille d’une fourmi, l’homme pourrait surement faire bien mieux qu’elle.
Dernier mythe qu’il serait grand temps de déboulonner: la fourmi ne cro-onde pas. Mais nous ne développerons pas ce point qui n’apporte rien à l’analyse du mouvement.
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Rotation des appuis
Dans un précédent chapitre, nous avons abordé de façon logique la marche d’un hexapode et d’un octopode, et nous avons vu diverses manières d’envisager la rotation des appuis. N’étant pas entomologistes, nous nous garderons de dire lesquelles de ces manières sont celles de la fourmi ou de l’araignée. Et puis, nul n’est à l’abri que la rotation des appuis de la Monomorium pharaonis soit différente de celle de la Tapinoma sessile, ou celle de la Latrodectus, de la pholcidae.
Comme modèles, nous pourrions retenir ces deux exemples, jugés les plus naturels dans un précédent chapitre.
Leur durée de 24 phases peut sembler un peu lente pour des fourmis et des araignées. Augmentons ces vitesses.
L’accélération pose le problème de la rémanence visuelle, que la multitude de pattes accentue. On réglera le problème en ajoutant des flous de mouvement.
Pattes de la fourmi
L’orientation en étoile des pattes de la fourmi détermine trois comportements différents.
La patte avant tire la couverture à elle…
… la patte latérale la dégage de coté…
… et la patte postérieure la repousse,…
… le tout en même temps.
Un peu lent ? Rajoutons les pattes de droite désynchronisées de 1/2 période…
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Pattes de l’araignée
Pour l’araignée, la paire de pattes supplémentaire ajoute une variante. Mais le plus remarquable est leur courbure.
Cette simple différence rend la fourmi plus délicate, l’araignée plus bourrue.
Fourmi en 12 phases Araignée en 16 phases
Ces modèles résultant d’un peu d’observation et de logique, on peut tenter d’autres durées de cycles, d’appuis, etc., bref, faire d’autres propositions que personne ne contredira, vu le nombre d’espèces inconnues qui pourraient correspondre.
Postures
En préambule du chapitre sur les petites bêtes, nous avons montré que la différence d’échelle entre elles et nous a une conséquence sur notre rapport au poids. Pour l’être humain, ou tout animal d’échelle équivalente, le moindre mouvement est une masse à déplacer dont il ressent la charge. Il est probable que fourmis et araignées ne ressentent aucunement leur poids. Pour s’en convaincre, il suffit de les observer avancer sur du plat: aucune ne se traine comme une masse, ni ne se balance d’un coté ou d’un autre pour compenser un déséquilibre. Entrainées sans effort par leurs pattes, elles semblent glisser sur un rail, n’en déviant qu’en cas d’accidents de terrain.
Pour les animer, on pourrait donc se contenter de déplacer leur corps le long d’une trajectoire rectiligne, ou qui suit le sol, puis de leur ajouter des pattes. C’est un peu simpliste. On peut envisager un mouvement quelconque, un balancement de l’abdomen, par exemple. Mais il faut éviter de donner le sentiment que le mouvement du corps subit celui des pattes.
Évidemment, un animateur peut tout faire, imaginer une fourmi fatiguée ou une araignée bourrée. Simplement, nous dépassons ici l’observation du réel. Non qu’une araignée ne boive pas, mais ce type de mouvement laisse supposer que ces petites bêtes auraient notre taille. Autrement dit, si vous voyez une araignée tanguer, c’est qu’elle peut vous manger.
A suivre!
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© Christophe Clamaron 2021